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Rivières et rizières

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Depuis Séoul, l’itinéraire cyclable remonte d’abord le fleuve Han sur quelques dizaines de kilomètres, puis suit les rives du Namhan sur près de trois cent kilomètres jusqu’au milieu du pays. C’est une belle route bien plate et il ne faut pas longtemps pour quitter la zone très urbanisée qui constitue le “grand Séoul” et entrer dans des régions plus rurales et verdoyantes. Le fleuve est large et serpente au fond d’une grande vallée à la végétation dense. Certes le relief n’est pas aussi impressionnant que ce à quoi nous ont habitué les sommets alpins, mais c’est bien un paysage de montagnes qui s’offre à nous, comme d’ailleurs dans la majeure partie de la Corée. 

Au grand bonheur de nos petits mollets, cette géographie montagneuse a été ingénieusement domptée par le gouvernement coréen, qui a financé d’impressionnants ouvrages d’art pour que la piste cyclable soit la plus agréable possible. Plusieurs tunnels, de nombreux ponts et de longues sections de routes construites au dessus l’eau, tous réservés exclusivement aux vélos, nous évitent l’essentiel du dénivelé et l’intégralité des voitures. C’est facile, dépaysant, calme et nous pouvons fréquemment pédaler côte à côte. La pluie qui nous avait un peu douchés lors de notre traversée de Séoul a laissé place à un beau soleil, qui nous accompagnera jusqu’à Busan. Difficile donc d’avoir de meilleures conditions pour pédaler !

Côté alimentation, tout est facile aussi. Quelques chaines de commerces de proximité (CU, Seven Eleven, Emart24, GS25) quadrillent le territoire en un réseau extrêmement dense et il y a des échoppes ouvertes partout et tout le temps. On peut y acheter de quoi manger, des boissons rafraîchissantes, du café mais on y trouve aussi en libre service des fours micro-ondes, de l’eau bouillante, le wifi, etc… C’est peu cher, très pratique et nous ne manquons jamais de rien. Pour à peine plus cher, nous préférons souvent profiter de la gastronomie locale dans l’un des innombrables restaurants qui jalonnent le parcours. Nous y avons rarement mangé deux fois la même chose, toujours été accueillis avec le sourire, et jamais été déçus 😋. Les restaurants ont chacun leur spécialité et le choix se résume la plupart du temps à deux ou trois plats. En conséquence le service est ultra rapide et, à peine assis, la table est aussitôt couverte de petits plats pour le plus grand plaisir de nos estomacs affamés ! 

Pour dormir, nous alternons les bivouacs, campings et petits hotels. La végétation étant haute et humide, il est impensable de planter une tente dans l’herbe comme en Mongolie ! Les kiosques en bois, qui ressemblent à de petites pagodes, offrent en Corée une très bonne solution pour bivouaquer : il suffit d’y poser la moustiquaire de la tente pour s’isoler des insectes et on y dort comme des princes. Ces jolis abris sont présents en abondance aux abords de la piste cyclable et permettent de se reposer à l’ombre et au sec. Les Coréens aiment bien camper et nous sommes rarement seuls lors de nos bivouacs sans que cela ne pose aucun problème. Nous avons aussi de bonnes expériences avec des campings officiels aux infrastructures simples et propres. Cependant, nous avons eu aussi quelques déconvenues en arrivant dans des «campings» sans sanitaires et sans eau courante. C’était parfois la conséquence du passage récent d’un typhon qui a provoqué d’importantes inondations, ou de la basse saison ou d’erreurs de traduction sur nos cartes. Nous avons dans ces cas là poursuivi notre chemin pour trouver un petit kiosque ! Et quand nous voulons un peu plus de confort, il est assez facile de trouver spontanément des petits hôtels à bon prix dans les villes traversées. 

Après avoir remonté la rivière Namhan, la route s’élève doucement vers le village de Suanbo et ses sources chaudes. Nous transpirons cependant assez sur nos vélos et la douche froide est plus au programme que le sauna à l’arrivée 😉. Le lendemain, l’ascension du col du Saejae est au programme. Avec ses 529m d’altitude, ce col n’est qu’une broutille comparée aux routes des Alpes. Pourtant cette montée est redoutée par une bonne partie des cyclistes qui se lancent dans le Séoul-Busan et beaucoup la montent à pied. Sylvain et Émilie profitent de la belle route au revêtement parfait pour faire un peu de sport et monter les cinq kilomètres « à fond », lançant toutes leurs forces dans la bataille et transpirant plusieurs litres d’eau. Mathilde et Héloïse mettent quelques minutes de plus et arrivent au sommet en chantonnant. Nous sommes encouragés dans la montée par un groupe de cyclistes singapouriens qui multiplient les signes d’encouragements alors que nous les dépassons ! 

L’air est bien humide et nos habits secs enfilés le matin le restent rarement plus d’un kilomètre. En effet, la saison des pluies se termine. Par conséquence, la végétation est partout dense et foisonnante. Toutes les nuances de vert se succèdent entre le vert tendre des rizières, celui plus foncé des cultures de soja ou lotus et enfin le vert foncé de la jungle. Les cultures de piment indispensables à la cuisine coréenne amènent une petite touche rouge, surtout quand ils sèchent sur le bord de la route. Les terres agricoles sont rares et précieuses pour nourrir 50 millions de personnes et elles sont largement réservées à la culture du riz. Les filles découvrent les particularités de cette plante essentielle en Asie (Maman ça pousse dans l’eau !). Rouler au milieu des rizières au coucher du soleil sera un très bon souvenir. L’espace cultivable est aussi optimisé pour les nombreux légumes verts inconnus de nos yeux mais savoureux pour nos papilles. Il n’est pas rare de voir des talus ou les accotements cultivés avec une rangée d’oignons ou de haricots comme un jardinage géant. 

Le soleil est un compagnon fidèle pendant deux semaines et les heures les plus chaudes sont parfois assommantes. Pour éviter de rouler à ce moment là, nous trouvons un peu de fraîcheur dans les restaurants ou alors nous cherchons un musée ! En effet, même dans des endroits en apparence reculés, des musées impressionnants de modernité dans des bâtiments à l’architecture futuriste ont été construits, contrastant avec la simplicité de la campagne alentour. Nous en visitons par exemple un sur l’écosystème et l’histoire de la rivière Nakdang lors d’une journée de repos dans un camping. À l’intérieur, dans une ambiance propre, fraîche et épurée, de gros moyens sont déployés pour rendre l’exposition la plus interactive possible : réalité augmentée, sièges qui bougent, lunettes 3D, détecteurs de mouvements, jeux de lumières, cinémas immersifs… La surenchère de technologies modernes transforme ces visites en des expériences de divertissement dignes d’un parc d’attraction. Les enfants sont contents, même s’ils n’ont au final aucune idée de quel était le thème abordé par le musée 🤨.

Un autre jour, nous visitons l’éco musée de Saejae avec une exposition sur l’apparition de la vie. Mathilde s’improvise professeur de biologie pour combler ses lacunes de coréens. Pendant ce temps, Sylvain « discute » avec Kim, l’un des curieux et très affables gardiens du musée qui est tellement jaloux de notre voyage qu’il nous fait plusieurs fois signe qu’il aimerait se glisser dans une de nos sacoches. Nous faisons beaucoup usage de Google Translate (ou autres outils de traduction) sur nos téléphones mais la barrière de la langue reste quand même très limitante. Nous n’apprendrons le lendemain par Facebook que Kim voulait nous inviter à dîner chez lui mais qu’il pensait que ses horaires de travail contrarieraient trop nos plans. Dommage, car nous n’avions pas de plans et aurions volontiers passé plus de temps dans la région 😢. Les occasions manquées font aussi partie du voyage…

La journée se finit par une jolie promenade dans une vallée autrefois fortifiée dont on peut encore voir les portes et murailles. Ce village très agréable a tous les stigmates d’une forte animation touristique mais beaucoup de restaurants et hôtels sont fermés car la saison touristique est terminée. Après avoir essayé en vain mais sans faire beaucoup d’efforts, de trouver un hôtel, nous posons la tente sous un kiosque dans un parking désert pour une nuit calme. Nous sommes réveillés le matin par le bruit du tracteur qui pulvérise généreusement des nuages d’insecticides dans les vergers. Cela fait sans doute partie des secrets pour produire les énormes pommes aux formes et couleurs parfaites, exposées fièrement sur les étalages alors que le doux bruit des nombreux insectes nous a bercé toute la nuit… « Les pommes ne sont pas bio ici » fait remarquer Émilie. Les fruits sont relativement chers en Corée et ils font l’objet de beaucoup d’attention. Les pommes sont par exemple souvent vendues à l’unité, emballées dans des petites housses individuelles. Elles sont parfois offertes à nos enfants par leur admirateurs le long des routes et sont toujours très appréciées !

En pédalant pendant autant de kilomètres le long de deux des principaux fleuves de Corée nous avons aperçu plusieurs usines hydroélectriques mais il paraît y en avoir nettement moins qu’en Suisse ou en France. Nous apprendrons que moins de 2% de l’électricité coréenne vient des barrages, la raison étant la très forte disparité des précipitations suivant les saisons, l’essentiel de la pluie tombant en été. Nous n’avons pas vu non plus de centrales nucléaires. Bien que 30% de la production électrique vienne de l’atome et que la Corée exporte encore son savoir-faire dans le domaine, le gouvernement de Moon Jae-in élu en 2017 a décidé sur fond de scandales à répétition de faire marche arrière et de stopper tous nouveaux développements, investissant à la place massivement dans des parcs éoliens offshore et le photovoltaïque. Nous avons ainsi vu à maintes reprises des pans entiers de forêts remplacés par des panneaux solaires. Les débats sur la sécurité énergétique et les combustibles fossiles ne sont pas réservés à l’Europe…

Nous croisons de nombreux cyclistes coréens équipés de beaux vélos de route. Ils apprécient eux aussi cette jolie piste où les kilomètres défilent vite. Les check-points officiels sont l’occasion de petites pauses et de discuter un peu avec eux. Étonnamment, nous n’avons vu pratiquement aucun cyclotouristes avec des sacoches. Nous croisons également d’autres sportifs, généralement des personnes assez âgées, qui font de la marche aux heures les plus fraîches. Nous remercions l’un de ces marcheurs, venu un matin spontanément aider Sylvain à pousser le tandem jusqu’au sommet d’un bref raidillon à plus de 20%. Sans lui, nous y serions toujours. Le golf suscite par ailleurs beaucoup d’engouement et nous longeons de nombreux parcours fréquentés par de nombreux amateurs. Tous ces sportifs ont en commun un équipement contre le soleil qui rappellerait celui d’un croisement entre Dark Vador et Spiderman 😀.

La seconde moitié de la traversée passe par les villes de Gumi et Daegu, une région moins touristique que vers Séoul et les cyclistes sont plus rares. Les gens se montrent en l’occurrence encore plus bienveillants et attentionnés à l’égard d’une famille de touristes occidentaux. Il n’est pas rare que l’on s’occupe particulièrement bien de nous dans les restaurants, par exemple. Ici, au milieu d’un repas, le patron appelle son fils anglophone au téléphone et le met sur haut-parleur, juste pour vérifier que tout va bien. Là, le cuisinier d’un restaurant bondé vient personnellement s’occuper de nous, cuisant patiemment l’intégralité de la viande que nous avions commandée sur le bbq de table. Il manie avec expertise la pince et les ciseaux pour s’assurer que chaque morceau de viande soit cuit parfaitement et coupé à la bonne taille.

L’heure de la rentrée a sonné en Suisse et les filles font leur retour dans les cahiers. Nous nous chargeons de l’enseignement aux enfants, ce à quoi nous consacrons une à deux heures par jour, le plus souvent le matin mais parfois dans l’après-midi, en fonction de la météo, de nos conditions de logement et de l’humeur des protagonistes. Quand la motivation n’est pas au rendez-vous, c’est une perte de temps 🤷‍♂️. Mais les filles sont plutôt intéressées par ces moments d’apprentissage qui se passent bien.  Après la théorie, les mises en pratique prennent la forme d’écriture d’articles de blog ou de cartes postales, d’exercices de calcul mental chantés à tue-tête sur les vélos ou de conversions de devises. 

Nos filles jouent beaucoup entre elles, profitant notamment des nombreuses infrastructures ouvertes au public, mais ne trouvent malheureusement que rarement d’autres compagnons de jeux. Nous nous arrêtons en effet trop brièvement dans les villes et, en dehors des vacances scolaires, il y a peu d’enfants disponibles pour jouer.

Finalement, nous pénétrons dans Busan, deuxième ville du pays. Après avoir scrupuleusement tamponné leur passeport dans les 27 cabines téléphoniques rouges qui constituent les points de contrôle de la traversée depuis Séoul, les filles remettent très fièrement leur précieux document au dernier centre de certification. Un agent vérifie alors chacun des livrets et remet à nos deux héroïnes du jour un joli diplôme et une médaille dans un bel écrin en bois. La joie et la fierté sont immenses !

On nous avait averti que la piste cyclable, quoique pratique, ne passait pas par les plus beaux endroits de Corée et que les paysages risquaient d’être un peu ennuyants et répétitifs. Pour nous, le confort d’être sur un itinéraire facile et sécurisé valait son pesant d’or et nous avions vite abandonné la recherche de routes plus spectaculaires pour rejoindre Busan. C’est un choix que nous ne regrettons pas. D’une part, les régions traversées sont assez variées pour que nous n’ayons pas l’impression de voir toujours la même chose, et donnent un aperçu authentique du centre du pays, loin des zones touristiques. D’autre part, rouler la plupart du temps sur des routes sans voitures enlève indiscutablement la majeure partie des soucis de sécurité inhérents au voyage à vélo et permet de bien profiter du moment présent. 

Il y a sûrement des itinéraires encore plus formidables pour relier Séoul à Busan, mais sur un voyage au long cours en famille, l’occasion de rouler sur une section aménagée de 633 km est d’autant plus privilégiée qu’elle ne se reproduira probablement pas souvent. 

Cette traversée de la Corée s’est avérée facile côté logistique et physique, surtout en venant de Mongolie ! Comme attendu, il y a manqué un peu d’esprit d’aventure, car il suffit de suivre les panneaux, les gens sont serviables et le pays très bien organisé. Ce voyage fut néanmoins très dépaysant, reposant, et parfaitement adapté à une itinérance familiale. 

Après une pause citadine pour visiter Busan et régler quelques questions logistiques, nous nous dirigerons vers le Japon. 

18 commentaires sur “Rivières et rizières”

  1. denis lachia

    Encore un article très vivant, bien complet, qui nous fait bien vivre votre voyage. Merci et bonne suite, en vous souhaitant toujours du beau temps pour le Japon ! Bises à tous et toutes

  2. Tout cela nous donne des idées pour la suite ! On va maintenant aller faire un tour de côté d’Emilie ! On vous embrasse les amis

  3. evelyne, le groupe du jeudi

    Ravie de partager ces moments avec vous grâce à Chantal !
    Les rizières me rappellent Madagascar où vit mon fils aîné avec sa petite famille. La comparaison s’arrête là, vos descriptions très détaillées des pays traversés et plus particulièrement de la Corée nous révèlent un pays très moderne.

    1. Sylvain Reboux

      Merci pour le commentaire. Il y a en effet un mélange intéressant de paysages très ruraux et très agricoles, et de tissu urbain très moderne. Ça doit être beau Madagascar !

  4. Merci Sylvain pour ce reportage très détaillé ! Bonne continuation à vous quatre. Bravo. On attend la suite…

  5. Salut les copains,
    jolie traversée de la Corée et il faut profiter quand c’est facile, ça risque de pas durer vu où vous passerez. Bonne traversée pour le Japon et pour sûr vous continuerez à bien manger. Bises aux filles de la part de Rosie (qui veut faire du vélo en voyage maintenant –> Merci…)
    Ciao!

    1. Sylvain Reboux

      Haha, dis à Rosie de continuer à mettre la pression à ses parents 😂 Et oui, ça sera pas partout facile comme ça, surtout qu’on a eu beaucoup de chance avec la météo (pluie à Séoul, pluie à Busan, grand soleil pendant deux semaines entre les deux !). A+!

  6. wow, another great update! thanks for taking us along on your journey. It’s so fun to see it all through your eyes.

  7. Bonjour à vous quatre. Merci de nous faire partager votre aventure. En lisant votre récit de Séoul à Busan, je découvre d’autres paysages de la Corée, la gentillesse des coréens restant la même. Bon séjour au Japon

  8. Dear iron-family! What a great achievement! Congratulations to the youngest of the family for the super nice medals and diploma! 🏅🥇
    Thanks for the pics and description of the rural Korea. It’s a new view of Korea that I did not have.
    Mmmhhh I still see some forks on the table 🍽️ but I cannot argue that you are really into trying local gastronomy 😀.
    You even “dare” interacting with the locals which I find fascinating!
    Thanks so much for the update. I am already looking forward to the next chapter .
    Enjoy and safe trip!
    Un abrazo para cada uno 🤗🤗🤗🤗

  9. Une douce sensation zen ressort, et du récit, et de cette traversée coréenne. Comme quoi aventure ne va pas forcément de paire avec difficulté. En tous cas le dépaysement est bien là, pour vous et pour nous avec nos yeux envieux. Toujours hâte de poursuivre ce voyage par procuration !
    Bisous à vous tous
    Lise

  10. Et bien ça fait envie ces pistes cyclables ! Quelle misère chez nous… ça fait cinq ans que le projet de piste cyclable en Maurienne a été lancé et toujours rien 🙁
    Bonne route au Japon !

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