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Le delta du Mékong

Pour la première partie de notre passage au Vietnam, nous avons choisi d’aller explorer la région du delta du Mékong, dans le sud du pays. D’après la carte il doit y avoir un dédale de petites routes se prêtant très bien au voyage à vélo au rythme d’escargots 🐌.

Nous atterrissons à l’aéroport d’Ho Chi Minh City, souvent abrégé en HCMC, et trouvons sans difficulté un taxi acceptant de nous amener jusqu’à My Tho, une centaine de kilomètres plus au sud. L’aéroport ayant la particularité d’être situé en pleine ville, nous sommes immédiatement plongés dans le chaos assez hallucinant d’HCMC. Les rues sont parcourues par quelques véhicules allant du camion au pousse-pousse à pédales, et chaque mètre carré de bitume restant est occupé par un scooter. C’est une véritable rivière de deux-roues qui se faufilent partout de manière dense, calme et ininterrompue, transportant avec eux des chargements autant hétéroclites qu’improbables. Une famille de quatre personnes, un écran plat de 150cm, un chargement de noix de cocos, un lot de cinq échelles, une machine à laver, trois cochons, etc… tout a sa place sur un scooter ! Il n’y a pas de marquage au sol, peu de feux de croisement, et pourtant la circulation est incroyablement fluide. Lente, certes, mais très rarement à l’arrêt. De ce tumulte apparent émerge une unique règle de circulation très simple : « évite ce qui se trouve devant toi ». Les rues ressemblent ainsi à s’y méprendre à une foule de piétons, dont les jambes auraient été remplacées par des roues… et les bouches par des klaxons 🙉. Chacun fait ce que bon lui semble et chaque mètre carré peut être utilisé pour rouler, stationner, réparer sa moto, manger, vendre, acheter, etc… 

Il nous est difficile de ne pas vivre tout ce fouilli comme une insupportable nuisance visuelle, olfactive et sonore – surtout en comparaison à nos belles rues occupées par des SUV de 2 tonnes flambant neufs filant sagement à 50 km/h. Mais il faut reconnaître au désordre des rues vietnamiennes le mérite d’être une utilisation démocratique et efficiente de l’espace publique, mise en œuvre à moindre frais. Les choses s’améliorent, nous dit-on, mais il faut de l’argent… et du temps.

Il n’y a pas que les yeux, le nez et les oreilles qui prennent une bonne claque en arrivant. Notre corps est aussi immédiatement saisi par la chaleur humide qui s’abat sur nous lorsque nous sortons de l’aéroport climatisé : le soleil est au zénith et le thermomètre largement au dessus des 30 degrés. Même en venant de Taïwan sous les tropiques, nous réalisons immédiatement que nous allons avoir très chaud sur les vélos, les températures annoncées pour les prochains jours oscillant entre 33 et 35 degrés. Il n’y a pas d’hiver dans le sud du Vietnam, uniquement une saison sèche et une saison humide. En ce mois de décembre, la saison « sèche » a commencé mais l’atmosphère reste très humide, notamment à cause des innombrables rivières, canaux, rizières et autres cultures semi-inondées. L’eau est omniprésente, la végétation luxuriante et l’évaporation maximale. 

Nous présentons nos excuses par avance aux amis Vietnamiens qui pourraient nous lire concernant notre inaptitude à orthographier correctement les mots en vietnamien. Depuis le début de notre voyage c’est la première fois que nous nous trouvons dans un pays utilisant l’alphabet latin. Enfin presque, c’est ce que nous croyions naïvement mais il y a bel et bien un alphabet vietnamien, avec 29 lettres dont 11 voyelles, et des accents servant à marquer les 6 tonalités que chaque syllabe peut avoir. Cette écriture aux allures familières de loin est en fait une transcription des idéogrammes chinois inventée par les missionnaires portugais au 17e siècle et rendue obligatoire par les Français en 1910. En résumé, c’est du chinois déguisé…

Nous enfourchons nos tandems à My Tho, une relativement petite ville située sur le bras nord du Mékong. Nous devrions partir tôt pour échapper à la chaleur mais avec déjà 30 degrés à 8h, il va être difficile de rouler vraiment « à la fraîche ». Nous ne sommes ainsi pas suffisamment motivés pour perturber notre rythme familial paisible et un peu princier, où les premières heures sont passées à lire, dormir, bricoler, jouer ou écrire, au gré des humeurs ou habitudes de chacun. Quite à avoir chaud, autant être bien reposés 😀.

La sortie de la ville à vélo est un peu chaotique au milieu des scooters, voitures et camions mais nous nous échappons vite de la route nationale pour emprunter les voies secondaires qui serpentent entre les cultures, les canaux et les villages. Toute la région est absolument plate. Nous sommes à 100 kilomètres de la mer mais l’altitude sur la carte indique moins de 10 mètres ! En conséquence, le sens d’écoulement des rivières est dicté par les marées et change au cours de la journée tout comme le niveau d’eau dans les canaux. C’est un peu désorientant, car quand le ciel est un peu voilé il n’y a plus aucun point de repère. Dans cette univers d’inondations quasi permanentes, les ponts et ferrys deviennent des points de passage stratégiques que nous repérons judicieusement sur la carte. 

La région est incroyablement fertile. La boue des canaux est collectée régulièrement pour fertiliser les sols et rehausser le niveau du sol. Nous pédalons dans un jardin d’Eden au milieu des fruits tropicaux : cocotiers, manguiers, jacquiers, litchis, bananiers, longans, durians … sans oublier le maraîchage et les grandes cultures comme le riz. Nous avons quitté le climat subtropical de Taïwan pour un climat équatorial où la végétation est reine et l’homme bien petit. Mais, il a domestiqué ce royaume du vert. Les feuilles de cocotiers géantes métamorphosent certaines petites routes en de longs tunnels ombragés. Et en bord de rivière, des petits hôtels accueillent les touristes confortablement. Nous avons ainsi profité un après-midi d’une terrasse sur pilotis pour lire en regardant passer les bateaux pendant que les enfants se baignaient dans le Mékong.

L’agriculture amène une certaine richesse à la région et nous en apprenons un peu plus lors de notre rencontre opportune avec Phú. Un matin, comme souvent, nous nous arrêtons dans un minuscule café de bord de route pour profiter d’un bon café vietnamien servi sur des glaçons et accompagné de nombreux verres de thé glacé. Un aimable monsieur prénommé Phú et parlant relativement bien anglais nous apporte une belle assiette de jacque, le fruit du jacquier à l’odeur assez forte et avec un léger arôme de fraise. Cela tombe très bien, car nous n’en avons pas encore goûté. Phú nous explique alors que les fruits viennent de son jardin et nous propose d’aller voir sa maison. Nous acceptons bien volontiers et arrivons devant un grand portail en retrait de la route principale. Derrière la porte se cache un magnifique jardin aux orchidées, un grand verger tropical et une grande maison neuve au confort moderne. Après le tour de la propriété, nous savourons sur sa terrasse les gourmandises qui nous sont proposées avec des verres d’eau de coco. Phú a un master en agronomie et il dirige avec sa femme un grand verger de jacquiers et durians qu’ils exportent à bon prix vers la Chine. En effet, le delta du Mékong alimente le marché vietnamien mais aussi le marché international en fruits frais ou transformés, avec des retombées financières conséquentes pour certains producteurs. La Chine semble être un bon allié commercial mais n’en est pas moins détestée pour autant. En tout cas c’est ce que les gens nous disent sans que nous le leur demandons.

Le travail dans les champs reste peu mécanisé, ou alors avec des machines anciennes et rudimentaires. Le lit des rizières est préparé à la main avec de grands râteaux pour étaler une boue marécageuse sous une chaleur écrasante. Nous assistons également dans la région de Ben Tré à l’exploitation des noix de coco. Dans de minuscules ateliers au bord des routes, des centaines de fruits sont épluchés à la machette, un travail long et dangereux. Les noix rejoignent ensuite des hangars près du Mékong où de grandes barges les acheminent vers des usines de production d’huile de coprah. La fibre de coprah est également extraite avec de vieilles machines poussiéreuses que nous observons depuis nos vélos dans des odeurs enivrantes de coco. Tout ce travail nécessite beaucoup de main d’œuvre !

Si nous nous régalons sans modération avec les fruits tropicaux achetés au bord de la route, notre premier contact avec la cuisine vietnamienne est en revanche assez « tiède ». Nous gardions un souvenir très positif d’un séjour dans le nord du Vietnam il y a quelques années, où nous avions trouvé les plats savoureux et agréables. Après une semaine dans le sud du pays, à goûter un peu de tout, chez les vendeurs ambulants au bord de la route, dans les petits restaurants des villages isolés, ou préparés dans les homestays plus ou moins touristiques, nous sommes un peu déçus. Peut-être est-ce du à la chaleur, ou bien avons nous été trop gâtés par les quatre derniers mois passés dans des pays à la gastronomie extraordinairement variée et savoureuse ? Mais nous trouvons facilement de quoi manger pour toute la famille et c’est bien le principal !

Les villes et les campagnes foisonnent d’activité économique malgré la chaleur accablante. Il n’est pas rare de voir des gens se prélasser dans les hamacs, mais ce n’est clairement pas l’activité principale. Nous sommes visiblement dans un pays en voie de développement. Les signes encourageants de prospérité sont nombreux. Les déchets et la saleté sont omniprésents dans les rues et le paysage et, sans surprise, semble être corrélés avec la densité de population et la pauvreté des habitants. Cela n’a rien de nouveau, rien d’extrême non plus, dans le sens où de gros efforts sont déjà faits pour ramasser les détritus.

Les enfants sont souvent plus éduqués que leurs parents et il arrive qu’ils nous servent d’interprètes, peu d’adultes parlant anglais ou français en dehors des villes ou des zones touristiques. Ainsi lors d‘un arrêt dans une cantine de bord de route, les filles sympathisent vite en anglais avec la fille de la patronne. Elle est rentrée pour la pause déjeuner et, à 13h, repart pour l’école dans un uniforme impeccable. Il y a peu de vacances scolaires et les écoliers des familles aisées ont généralement des cours le soir et le week-end. Bien évidemment, les deux-roues font partie intégrante de l’école et les sorties des classes sont bien bruyantes lorsque chaque écolier repart en scooter. Nous avons même vu des scooters faire la queue dans une crèche, les parents récupérant leurs bambins en mode drive in

Dans un pays avec près de 100 millions d’habitants et une densité de population très élevée par endroits, la vie en communauté prend parfois des tournures intéressantes. Au Japon, chacun s’efforce de déranger le moins possible. Ici, les campagnes surpeuplées vibrent au son des enceintes stéréos d’un ou deux mètres de hauteur dont beaucoup de gens s’équipent pour hurler la musique de leur karaoke plus fort que leur voisin. Nous trouvons sans trop de difficulté des endroits calmes, mais cette attitude très individualiste, que l’on retrouve d’ailleurs dans la façon de rouler sur les routes, est surprenante. 

Notre première étape au Vietnam dans le delta du Mékong a été très intéressante, ajoutant une nouvelle dimension de diversité à notre déjà très riche voyage. Par rapport aux pays que nous avons précédemment visités, l’Asie du Sud-Est se distingue par un niveau de développement nettement inférieur. Pour une famille de voyageurs occidentaux tels que nous, c’est un changement fondamental aux répercussions multiples. En terme de prix tout est très abordable, mais le moindre confort se paie par une certaine perte d’authenticité et un éloignement du quotidien de la majorité des Vietnamiens. Il faut donc sans cesse faire des choix conscients sur la nourriture, l’hébergement ou les lieux que nous visitons, au risque de traverser le pays sans vraiment le voir. La pauvreté au Vietnam n’est peut-être pas extrême, mais elle est bien réelle et soulève déjà subtilement des questions éthiques sur le tourisme des nantis. Et avec un tourisme intérieur relativement limité – plus de la moitié des Vietnamiens n’ayant jamais quitté leur lieu de naissance – être touriste ou étranger sont presque des synonymes, surtout dès que l’on s’éloigne des destinations prisées. 

Nous choisissons de ne pas rentrer jusqu’au centre de Ho Chi Minh Ville à vélo, préférant prendre un bus à Tan An et évitant ainsi trente kilomètres de chaos urbain désagréable. Les vélos sont chargés dans les soutes du bus en deux temps trois mouvements par le chauffeur, et tout se passe avec une simplicité déconcertante. Il nous reste alors à pédaler quelques kilomètres pour rejoindre le quartier de la gare. Nous naviguons dans un trafic soutenu, constamment en alerte et emportés par le flot des deux-roues. Au bout d’une heure, saturés de pollutions diverses, nous sommes bien contents de nous réfugier dans un hôtel. Les Vietnamiens qui vivent dans cette circulation au quotidien ont tout notre respect ! Le lendemain, nous rejoignons la gare où nous laissons nos vélos au service du fret. Tout est bien fait pour les deux-roues et il est nous très facile de faire envoyer nos tandems. Ils mettront deux ou trois jours pour rejoindre Da Nang, mille kilomètres au nord. Nous prenons un train de nuit pour la région de Hué, Da Nang et Hoi An, notre prochaine étape au centre du Vietnam.

A bientôt !..

12 commentaires sur “Le delta du Mékong”

  1. Dear traveler friends,

    As usual thx for the post! Very interesting change of context. So many questions…but I will wait until you come back 😂 Only one curiosity: why was the police officer checking the bikes flags?
    Regards from Spain! 🤗🤗🤗🤗

    1. Sylvain Reboux

      Hola amigo, I think the police officer was in this case behaving like an ordinary person: « oh, a flag, what country is it? ». It’s actually why we have these flags on the bikes: it’s a good conversation starter 😀
      Have a good time in Spain and say hi to your family 🤗

  2. Faire du slalom en tandem dans les rues encombrées d’Ho chi Minh ne doit pas être facile!. Bravo pour être arrivés entier à destination.
    Vous avez déjà bien voyagé mais visiblement vous n’êtes pas blasés et toujours émerveillés. Super.
    Je vous souhaite de continuer à faire de belles rencontres avec les gens…. pour ensuite nous les raconter!
    Bonne fin d’année 2023!

  3. Grandperrin Chantal ( Ex Rivollet Roattino de Cornier )

    Tellement extraordinaire votre périple, et toujours si agréable à lire .
    Le Vietnam me parle puisque nous y sommes allé ,pour le mariage de mon neveu, mais en faisant du nord au sud .
    Bonne continuation et bonne fin d’année

  4. jlouis et catherine debuisson

    merci de ces belles explications et de vos ressentis. Nous sommes admiratifs de la façon dont vous abordez les pays traversés. Bonne suite et belle fin d’année à vous.

  5. Bonne Année 2024

    Que la bonne humeur soit votre alliée tout au long de cette aventure , garder les yeux ouverts il reste encore beaucoup à découvrir.
    Riez , vivez et surtout prenez tout du bon côté.
    Avec toute mon affection
    Santé et bonheur .
    Jacky

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